Les Grisons , c’est un canton suisse encore plus à l’écart que d’autres déjà bien sauvages, un endroit que l’on dirait sorti tout juste de bouleversements géologiques très anciens et dont ses habitants conservent la mémoire et le geste intacts.
Le village vers le ciel
Stampa . Les dieux ont décidé, là, d’une vallée qui n’a d’horizon que le ciel. C’est ici, entre ces montagnes, qu’est né Alberto Giacometti.
Mais qu’espéraient donc ces hommes et ces femmes qui se sont arrêtés ici, qui ont il y a longtemps construit là, leurs grandes demeures aux murs épais, si larges qu’on les dirait prêts à supporter tous les temps.
On les croirait remparts jusqu’à l’éternité…Mais que cherchaient-ils donc ici, dans cette vallée serrée de si hautes montagnes, dans cette vallée au flancs de qui l’on ne pourra pas aller plus loin, contre qui l’on restera pris dans le vert grouillant des feuillages, contre qui l’on ne pourra qu’espérer s’allonger, s’étirer, jusque vers ces arêtes acérées de granit ; jusque vers le ciel, ce seul horizon…
Il y a bien à rêver ici, à Stampa et dans la ruelle de ces petits villages qui l’entourent et qui sont Borgonovo et Coltura, ici, dans ce fond des Grisons où gronde le silence de la rivière, aujourd’hui grise après la pluie violente et la grêle qui sont venues. Cet aujourd’hui de la vallée où le soleil revient comme une promesse.
Ici où décidément il n’y a qu’à s’attarder, qu’à prendre la main de ce temps, qu’à se laisser conduire dans son énigme à la fois heureuse et inquiète.
STAMPA, STAMPA…Le nom maintenant vous résonne d’un côté et de l’autre des montagnes, vous vous surprenez à guetter la lenteur du pont de pierre, ses arcs immobiles sur l’eau qui passe. Ce pont, vous le verrez plus tard transposé dans le regard du peintre, le père, Giovanni Giacometti, dans ce tableau qui est au Museo Gläsa Granda, là, au bord de la route et de la rivière, cette grande bâtisse qui tient les siècles au cœur de Stampa.
A Borgonovo, plus tôt vous auriez traversé l’immobile matin dans l’unique rue, vous auriez longé les maisons serrées les unes aux autres, vous vous seriez étonné des échappées que l’on aperçoit tout à coup entre ces hautes demeures, et où le regard est immédiatement aimenté vers la montagne.
Au milieu de cette rue, la maison qui porte le numéro 60 est celle où naquit Alberto Giacometti, en 1901. Mais dans le calme de Borgogno que rythment ce matin les cadences d’un homme qui scie à la main son bois de chauffage, et où passent en signes sporadiques le chant des coqs, rien ne vient alerter le promeneur de l’illustre naissance. Pas de plaque, ici, sur la façade…
Mais il y a longtemps, nous verrons aujourd’hui, encore, les femmes venir laver leur linge à la fontaine de Borgonovo, comme dans cette gravure de Giovanni Giacometti * Donne alla Fontana *
Borgonovo, Stampa, le temps d’un père et d’un fils.
« Veux-tu devenir peintre ? » demanda Giovanni à son fils Alberto.
C’était en 1919, le fils qui avait 18 ans répondit de cette seule évidence : « peintre ou sculpteur »
Une évidence à l’œuvre de toute une vie et qui maintenant passe par l’atelier de Stampa, cette grange vis-à-vis de la maison paternelle, cet atelier où aussi travailla son père et où, sur l’un des rondins de la façade, il est discrètement gravé : « atelier dei maestri pittori –scultori Giovanni Giacometti 1868-1933 Alberto Giacometti 1901-1966.
C’est donc de là qu’Alberto Giacometti vient, de cet endroit du val Bregaglia où les montagnes sont si serrées qu’elles font grimper le regard.
C’est de là donc qu’il vient Alberto Giacometti, de ces montagnes si hautes que l’on dit qu’elles lui ont donné l’élan de ces sculptures, de ces hommes qui s’avancent en s’étirant vers le haut.
Vers le ciel de la vallée.
Pour salut.
Bleue